Le siège très modeste du groupe Cretskens est toujours situé dans la Kempenstraat à Dilsen-Stokkem où tout a commencé pour la famille à la fin des années 80. « Ma femme et moi venions de décrocher un diplôme en sciences humaines. J’ai ensuite passé un contrat d’apprentissage de 6 mois avec un collègue boucher de mon père. Puis mon père est tombé malade et nous avons commencé à travailler dans son magasin. Rien n’avait été acheté en 20 ans et nous avons dû investir massivement. Notre première balance a coûté 1 000 euros. C’était énorme pour nous à l’époque. »
Raymond Cretskens et Suzy Lemmens reprennent rapidement le marchand de journaux attenant. En 1993, ils acquièrent leur premier supermarché, un magasin alors déficitaire à Eisden. En 1998, le deuxième supermarché de Kessel-lo suit. Aujourd’hui, la famille Cretskens compte 18 Carrefours dans son portefeuille, dont la grande majorité est entièrement interne.
STERCK. Vous vous êtes spécialisé dans la rentabilité d’un supermarché ?
Raymond Cretskens : « Ma femme Suzy et moi n’avons aucune formation financière. Bien sûr, certaines choses semblent logiques, mais au début vous n’avez pas toutes les cartes en main. Et c’est une bonne chose, sinon nous n’aurions pas pris certaines décisions à l’époque (rires). Nous nous sommes basés en partie avec notre intuition. Ces magasins se sont retrouvés en difficulté sur des points que nous avons réussi à améliorer. Le simple fait que ma femme et moi allions nous-mêmes travailler dans les magasins était une économie de coûts. Notre deuxième magasin à Kessel-lo a été une étape cruciale dans notre parcours. Il bénéficiait d’un grand potentiel : un emplacement entre des habitations, une belle surface et le bâtiment commercial était inclus dans l’achat. »
STERCK. Quels sont les critères les plus importants pour évaluer un magasin ?
Cretskens: « Quand nous effectuons des recherches, nous savons parfaitement quels sont nos objectifs. Le bâtiment et le chiffre d’affaires par semaine sont des critères majeurs. Et structurellement, bien sûr, les coûts doivent être en bonne ordre. Mais ce point est ajustable. Si nous ne pouvons pas acheter le bâtiment, nous n’abandonnerons donc pas, mais nous examinerons le dossier de manière plus critique. »
GROUPE CRETSKENS, 100% ACQUISITIONS PROPRES :
PARTICIPATIONS DANS :
STERCK. Préférez-vous travailler avec des magasins sous votre propre direction ?
Cretskens : «Étant donné que les supermarchés sont notre cœur de métier, notre premier objectif est de faire le maximum en interne. Mais même dans ce cas-là, nous n’hésitons pas à coopérer avec des partenaires extérieurs. La coopération avec des gérants indépendants offre une dynamique unique. Parfois, cela fonctionne parfaitement, parfois c’est plus difficile. Nous avons développé un système pour les supermarchés qui fonctionne parfaitement pour nous et avec lequel nous générons une certaine marge et un certain rendement. Un travailleur indépendant est libre de le faire comme il le souhaite. C’est parfois une approche différente. »
STERCK. L’échelle des opérations et le pouvoir d’achat sont-ils un atout majeur ?
Cretskens : « L’échelle des opérations seule n’est pas suffisante, mais elle offre des opportunités. Elle garantit une certaine marge et permet, par exemple, de mettre en place un système de reporting. Nos employés surveillent à présent de façon constante un certain nombre de chiffres. C’est une façon professionnelle de travailler. Je pense que notre force aujourd’hui réside en partie dans ce système de reporting. Par exemple, nous mesurons les coûts de personnel par magasin sur une base mensuelle, mais nous mesurons également les heures travaillées sur une base hebdomadaire. Un magasin a certains indicateurs clés de performance qu’il faut respecter. En raison de notre expérience et du fait que nous avons toujours été nous-mêmes dans le magasin, nous savons très bien ce qui est possible ou non. Nous nous basons toujours sur nos propres paramètres. Sinon, on ne s’en sort pas. Finalement, c’est assez simple. Un magasin est une combinaison de plusieurs services qui nécessitent chacun une certaine compétence. Et il n’est pas toujours facile de rassembler toutes ces compétences. Sans oublier qu’il est vital de comprendre les chiffres car il faut comprendre le reporting financier établi par le comptable pour parfois mettre en place des ajustements. »
STERCK. Comment percevez-vous les attaques de groupes néerlandais tels qu’Albert Heijn et Jumbo sur le marché belge ?
Cretskens : « Les prix vont forcément évoluer dans la période à venir. Les Néerlandais tel que Jumbo sont forts pour apporter de l’expérience. Carrefour le fait aussi aujourd’hui. Nous voulons vraiment aller dans cette direction, y compris à l’échelle internationale. On verra ce que ça donne. Je ne peux pas regarder dans une boule de cristal. Mais voici une prédiction: si 100 supermarchés arrivent en Belgique, peut-être que 200 autres disparaîtront. Il y a déjà une sursaturation du marché. Et ils veulent toujours mettre un petit supermarché à chaque coin de rue. On ne peut pas avoir à la fois de très grandes surfaces et beaucoup de petits magasins et pensait que le reste va suivre. Le supermarché qui survivra est, à mon avis, celui qui obtiendra le chiffre d’affaires de la zone voisine. Un magasin qui n’est peut-être pas super grand, mais qui parvient à obtenir une gamme assez complète, sans nécessairement une gamme excessive de produits non-alimentaires. Un magasin qui offre également un certain nombre de services supplémentaires tels qu’un corner café ou lunch sur place pour rencontrer des personnes du coin. »
« Si 100 supermarchés arrivent en Belgique, peut-être que 200 autres disparaîtront. »
STERCK. Avec le nouveau concept de l’Atelier Du Four, répondez-vous à cette expérience ?
Cretskens : « Nous réalisons en effet un test à grande échelle sur le site du Carrefour de Tienen dans lequel nous avons investi 1,5 million d’euros. Avec la boulangerie Crelem et Natu Fine Foods, nous avons deux sociétés dans notre groupe qui s’intègrent parfaitement à cela. J’ai observé certains Jumbos et d’autres supermarchés dans toute l’Europe. L’Atelier Du four offre une combinaison des meilleurs services que nous avons vus et qui, selon nous, va s’imposer. Le concept est également modulaire afin que nous puissions également utiliser certaines offres dans les petits supermarchés. »
STERCK. L’acquisition de l’entreprise de construction AKP à Oudsbergen en 2003 a été votre premier pas vers la diversification ?
Cretskens : « Ce fut en effet une étape majeure. Il s’agissait d’une entreprise que nous ne connaissions pas, et qui était aussi structurée très différemment financièrement. Nous avions l’habitude de recevoir nos fonds en caisse tout de suite. Dans le monde de la construction, cela fonctionne complètement différemment. Ce fut assez dur au démarrage. Avec une telle acquisition, vous vous engagez aussi moralement envers les personnes qui y travaillent. On a eu quelques mauvaises surprises, et ce n’était plus normal. Le chiffre d’affaires de notre première année s’est situé entre 2,5 et 3 millions d’euros, alors que la structure était capable de développer facilement 8 à 10 millions. Ce fut un désastre. Et en plus, pendant cette période, le prix de l’acier a également grimpé en flèche. À un moment donné, chaque centime gagné des supermarchés a été reversé à l’entreprise de construction pour couvrir les pertes. Les banques nous ont octroyé un crédit supplémentaire. Nos comptables nous ont conseillé de déposer les livres de l’entreprise de construction car elle menaçait de tout faire s’écrouler. Sur la seule base des chiffres, ils avaient totalement raison. Mais nous avons persévéré car après quelques années, nous avons senti qu’un changement était sur le point d’arriver. Quand on est dans le métier, on le ressent tout de suite. Et cela s’est avéré être le cas. Martin Beynaerts de Van Havermaet, qui nous a assistés à l’époque, est toujours notre fidèle conseiller après toutes ces années. »
STERCK. En 2015, vous avez repris Q-Bakeries, aujourd’hui Crelem. Quatre ans plus tard, c’est la deuxième plus grande boulangerie de Belgique ?
Cretskens : « Cette acquisition est une histoire particulière. Q-Bakeries était un fournisseur de nos magasins depuis 20 ans jusqu’à ce qu’ils fassent soudainement faillite en 2015, juste avant les vacances, la période la plus chargée de l’année. Je ne connaissais rien au secteur de la boulangerie mais il fallait faire vite. Sans un redémarrage dans la semaine, l’entreprise perdrait tous ses clients et un accord aurait été alors inutile. Le plus grand risque n’était pas le matériel ou les bâtiments, mais les 160 personnes que nous allions prendre en charge. Nous avons dû payer le dernier mois de l’année où ils n’avaient pas travaillé pour nous, y compris la prime de fin d’année.
La faillite a entrainé immédiatement un manque sur le marché. Le fait que de nombreux clients aient eu du mal à trouver une nouvelle boulangerie a renforcé notre opinion que Crelem aurait du succès. Le vendredi soir, je suis allé voir la boulangerie de Zolder et d’Asse pour la première fois avec ma fille. Vous essayez de compter avec vos conseillers et vos comptables, mais c’est très difficile. Vous n’avez aucune idée du nombre de clients vous allez avoir, quels revenus vous allez faire. On ne peut rien vraiment prévoir. Je savais avec l’expérience d’AKP à quel point un redémarrage pouvait s’avérer difficile. Nous avons appelé les fournisseurs majeurs le dimanche et ils nous ont soutenus. Le lundi, notre offre devait être acceptée. Nous avons commencé avec 200 à 250 clients que nous pouvions livrer immédiatement. Nous les avions tous appelés. Aujourd’hui, nous avons 450 clients et un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros. En principe, environ 100 clients devraient pouvoir s’y ajouter. »
STERCK. Quelle est la clé du succès pour doubler le nombre de clients en quelques années ?
Cretskens : « La qualité ! C’est un point crucial sur lequel la direction précédente accordait trop peu d’attention. Nous sommes très rigoureux à cet égard. La gestion financière est également différente. En tant que propriétaire majoritaire de plusieurs supermarchés, nous connaissons parfaitement les attentes des clients. C’est vital ! Un exemple parfait : la qualité de notre pudding et de notre chocolat. Nous sommes passés du pudding froid à un pudding cuit pour certains produits. Le chiffre d’affaires a immédiatement augmenté de 10 à 20%. N’est-ce pas un signe que le client le remarque ? Et si nous remarquons un problème de qualité lors du déballage des produits dans le magasin, nous contactons immédiatement la boulangerie. Nous restons en vigilance constante. »
La famille est extrêmement importante. C’est la priorité numéro une.
STERCK. En fin d’année dernière, vous avez repris Vermaut’s Boerenbrood en Flandre occidentale ?
Cretskens : « C’est une acquisition stratégiquement très importante. À l’échelle nationale, nous avons maintenant une bien meilleure répartition. Dans les boulangeries de Zolder et d’Asse, nous travaillons sur notre capacité maximale depuis un certain temps et nous perdions en efficacité. Nous pouvons maintenant déplacer un peu de production et continuer à croître. Vermaut’s réalise un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros. Avec l’infrastructure disponible, 30 millions d’euros devraient y être possibles. La collaboration avec Diversi Food, l’ancien propriétaire de Vermaut’s, ouvre également de nouvelles possibilités. C’est une grande entreprise d’aliments surgelés, nous sommes une boulangerie fraîche spécialisée. À l’avenir, nos employés vont fusionner pour que nous puissions approcher les clients avec une gamme complète d’options. Cette démarche nous permet d’avoir plus de poids face à La Lorraine, notre concurrent direct. Il s’agit d’une entreprise beaucoup plus grande que nous et un véritable groupe international, mais nous avons maintenant des atouts supplémentaires avec lesquels nous pouvons avancer. Nous pourrions développer nos propres magasins à l’avenir, tout comme La Loraine avec Panos, par exemple. Il s’agit d’une option mais qui n’est pas obligatoire. De plus, aujourd’hui, nous nous concentrons uniquement sur les supermarchés. Le service de restauration offre également des perspectives. Il reste donc de nombreuses possibilités. »
STERCK. Vous osez reprendre des entreprises en difficulté, mais aussi investir dans de jeunes entreprises prometteuses comme Skilpod, Netalux, …. Quel genre de dossier vous intéresse-t-il ?
Cretskens : « Concernant les start-up, nous optons consciemment pour une participation minoritaire. Il faut laisser les jeunes entrepreneurs faire ce qu’ils veulent. Chez Skilpod, il y avait un léger lien avec AKP. Chez Netalux, en revanche, pas du tout. Ce sont de jeunes entrepreneurs que vous estimez capables et qui veulent travailler. Ce point est terriblement important. Ils doivent aussi se montrer suffisamment flexibles pour pouvoir effectuer des ajustements à tout moment. »
STERCK. La branche immobilière est importante pour le Groupe Cretskens ?
Cretskens : « L’immobilier est un secteur très important. La construction vous apporte une certaine stabilité auprès des banques, ce qui vous permet de gagner leur confiance plus facilement. Nous essayons également de centraliser le parc immobilier au sein d’un certain nombre d’entreprises afin qu’il soit plus facile à gérer. »
STERCK. Vous êtes reconnus comme des travailleurs acharnés. Quelles sont vos horaires de travail ?
Cretskens : « Le travail, c’est dans nos gènes, c’est notre vie. Pour nous, une semaine de travail va du lundi matin au dimanche soir. Cela a toujours été le cas. Pendant longtemps, nous avons gardé le magasin ouvert à Maasmechelen le dimanche. Cela doit vous plaire, sinon vous ne réussirez pas. Le week-end, nous mettons à jour des points qui ne peuvent pas être fait la semaine. »
STERCK. Comment suivez-vous toutes ces entreprises ?
Cretskens : « À la base, bien sûr, il y a ma femme Suzy et les enfants. La famille est d’une importance cruciale pour nous. C’est la priorité numéro une. Deux de nos trois filles ont été très actives dans les entreprises avec beaucoup de responsabilités depuis l’âge de 18 ans. C’est exceptionnel et cela fonctionne très bien pour nous. Bien sûr, parfois certaines choses ne fonctionnent pas. Mais elles sont nées dans ce milieu et ont vu beaucoup de choses même étant petites. Mes activités sont très variées et englobent tout. Je n’ai pas besoin de toujours être là, mais je veux savoir et être impliqué dans toutes les questions importantes, même si ce n’est pas toujours facile. Aujourd’hui, j’ai parfois un peu de temps pour vérifier minutieusement certains dossiers importants.
À l’avenir, nous souhaitons simplifier un peu les structures. En collaboration avec notre conseil consultatif, nous avons mis en place un cadre stratégique à cet effet. Les activités ne doivent pas devenir trop diversifiées. Notre cœur de métier doit toujours passer en premier : les supermarchés, la production d’aliments, l’immobilier, … Mais c’est un fait que les autres entreprises prennent aussi un certain temps à comprendre alors que le rendement à court terme est parfois limité. C’est typique d’une entreprise en démarrage. Ces personnes ont besoin de vous et vous êtes heureux de les aider dans leur parcours. Nous allons peut-être nommer quelqu’un pour prendre les start-ups sous sa responsabilité. »
STERCK. Dans quelle direction souhaitez-vous aller à l’avenir ?
Cretskens : « Crelem est en train de devenir une grande entreprise. Nous souhaitons aller plus loin dans ce sens. Si nous découvrons des opportunités dans le secteur alimentaire, nous investirons certainement. Les supermarchés y sont liés et les enfants sont les plus engagés dans ce secteur. Nous avons désormais Natu Fine Foods et la boulangerie, mais si quelque chose d’autre se présente à nous, nous y réfléchirons certainement sérieusement. »
Concernant les start-up, nous optons consciemment pour une participation minoritaire.
STERCK. Est-il parfois difficile de ne pas saisir une opportunité ?
Cretskens : (rires) « C’est parfois difficile pour moi, mais je reçois toujours les conseils avisés de la famille. Et surtout, elles souhaitent garder le cap de nos secteurs privilégiés. Même si parfois d’autres options se présentent. Si l’échelle d’une acquisition est trop petite, alors vous n’avez pas cette première base de personnes sur laquelle vous pouvez vous appuyer et vous développer. Dans la boulangerie, par exemple, cet engagement était bien présent alors vous avancez plus vite sans devoir vous mettre en première ligne. À l’inverse, si vous réalisez une acquisition à plus grande échelle, cela coûte évidemment plus d’argent. »
STERCK. Trouver du personnel est – comme pour tous – un grand défi ?
Cretskens : « C’est en effet un très grand défi à l’heure actuelle. Notre groupe compte 800 employés, répartis dans toutes les entreprises. Très récemment, nous avons décidé de participer à hauteur de 20% dans l’agence intérimaire Flexer. C’est une sorte d’intégration à la verticale. Nous avons en effet de nombreuses missions temporaires. De cette façon, nous espérons maintenir l’afflux de personnes à jour. Mais cela reste très complexe. Le manque de personnel se ressent fortement, dans tous les postes. Chez AKP, on arrive à devoir bloquer le volume des ventes par manque de ressources. C’est absurde ! »
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